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Interview de:

 

Daryl HALDANE, de la distillerie HIGHLAND PARK

 

Global Brand Advocate

(Ambassadeur général de la marque)

 

Interview finalisée le 02/10/2013, traduite le 12/10/2013 par votre serviteur

 

 Daryl Haldane Highland Park

 Daryl Haldane devant les murs de pierre noire de la distillerie (Photo: © Highland Park)

 

 

1/ Questions Générales:

 

1 -   De nombreux changements ont eu lieu ces dix dernières années dans le monde du whisky. Lequel jugez vous le plus important, et, selon vous, a t’il eu des conséquences positives ou négatives?

Durant des années nous nous sommes fiés au seul compte d’âge des whiskies pour guider nos consommateurs vers la qualité, vers toujours une meilleure qualité. Je me réjouis qu’en tant qu’industrie, nous nous soyons aujourd’hui détachés de cette dépendance, et je pense que les gens comprennent désormais que le goût peut être exceptionnel tant pour des whiskies jeunes que pour d’autres plus âgés. Le but doit être la recherche de grands whiskies, et à Highland Park nous avons des joyaux de tous âges.

 

2 -  Quel futur prévoyez-vous pour les whiskies de qualité (les single-malts écossais spécialement), dans un marché ou l’essentiel des ventes est réalisé par les blended-whiskies, et ou peu de grands groupes possèdent la plupart des distilleries? En d’autres termes, ne craignez-vous pas qu’une certaine uniformisation devienne le maître-mot pour les whiskies qui seront mis en bouteille durant la prochaine décennie? (je fais également allusion à l’utilisation massive, voire exclusive de fûts de Bourbon de premier remplissage pour l’élaboration de nouveaux whiskies, et notamment pour les plus jeunes).

       Je ne pense pas que cela arrive un jour chez nous. Afin de rester compétitifs, nous devons continuer à innover dans ce que nous proposons. Je suis persuadé que les choses vont changer dans la décennie qui arrive. Je pense que les distillateurs écossais deviendront plus créatifs, en jouant sur le type de fûts utilisés, l’assemblage, les niveaux de tourbe, etc...Je pense toujours que le whisky de grain peut jouer aussi son rôle dans cette histoire du whisky en perpétuelle évolution.

3–  Durant la décennie 1990-2000, et au delà, nous avons vu proliférer certaines modes, dont les affinages en tout genre. L’auteur est ravi que la distillerie Highland Park ne se soit jamais commise dans ce genre de choses (bien que certaines options puissent être intéressantes à tenter, non sans precautions...).

Pensez vous que l’on s’inquiète trop à ce sujet, et à celui de la généralisation de la sortie d’éditions sans compte d’âge pour beaucoup de distilleries, et dans ce dernier cas, les distilleries font elles seulement cela à cause de la rupture de stocks de fûts âgés (à cause de la demande importante provenant des pays dits des “B.R.I.C.S.)?

A mon avis, il est clair que nous sommes contraints par les questions d'âge. Un whisky est prêt quand il est prêt, et je ne vois pas de raison pour laquelle nous devrions nous lier les mains nous mêmes en déclarant l’âge d’un whisky. Tant que nous pourrons faire confiance aux producteurs pour nous assurer qu’il n’y a pas de compromis quant à la qualité, nous pourrons être assurés de voir naître de belles nouveautés de la part de tous, en provenance de l’Ecosse toute entière. Notre série des “Guerriers” (NDLR: la gamme “Warrior Series”) en est l’exemple. L’entrée de gamme de cette nouvelle série est le “Svein”, et c’est un Highland Park sensationnel.

4 –  A quel point les single-malts des années 1960/1970 sont-ils différents de ceux de maintenant ou de ceux des deux dernières décennies? (je pense en cela à des versions anciennes de Highland Park, comme par exemple une millésimée 1959, embouteillée en 1980-dans une bouteille officielle trapue). Qu’est ce qui explique, selon vous, ces différences (si elles existent)? Sont elles dûes à des décisions de services de marketing, à des changements techniques (le type d’orge utilisés, le type de levures, l’éventuel remplacement des alambics, le type de fûts, l’automatisation, la transmission du savoir-faire entre les équipes dans le temps, etc...?). Auriez vous des exemples?

     Nous avons commencé à produire Highland Park en tant que marque de single-malt en 1979. Avant cela, le profil aromatique doux et fumé de nos whiskies était recherché par les assembleurs, produisant des blended-whiskies tels le “The Famous Grouse”. Il y avait donc de la qualité, de la cohérence dans ce que nous faisions. Nous maltons notre propre orge et nous fûmons 100 % de cette orge (NDLR : avec de la tourbe locale, différente de celle d’Islay). Dans le passé cette pratique n’était pas toujours suivie. Lorsqu’il faisait grand vent, la fumée s’échappait facilement du toit en pagode (NDLR : ...des clapets mobiles du toit). Dans un jour calme, en revanche, la fumée restait sagement sur l’orge en train de sécher. Donc suivant le jour en question, notre distillat était soit inhabituellement fumé, soit très légèrement fumé.

      En 2005 nous avons résolu le problème en installant un système de pales de type “hélicoptère", ce qui permet désormais d’assurer un flux régulier de la fumée vers le toit. Aujourd’hui nous essayons de conserver le caractère du distillat à chaque saison, alors que les niveaux de fumée ont pu davantage varier dans le passé. Alors, lorsque vous vous servirez un verre de vieux Highland Park, vous pourriez donc très bien être en mesure de dire si l’orge à été maltée durant un jour venteux ou durant un jour calme sur Orkney...

 

Highland park officiel 25 ans 48.1

Le Highland Park officiel 25 ans, ici en version à 48,1 % (donc pas le même lot que celui évoqué par Daryl Haldane).

 

 

2/ Sur votre politique de production, voire sur des questions techniques:

 

5 - D’abord une question sensible. L’on entend régulièrement dire que les fûts vendus par les distilleries aux négociants (ou aux intermédiaires, dits “brokers”) sont souvent de qualité inférieure à celle de deux conservés par la distillerie pour ses propres productions. Il semble que ce soit clairement le cas pour Highland Park (même s’il y a de notables exceptions), qu’en pensez-vous?

Nous savons ce dont nous avons besoin pour nos assemblages d’Highland Park. C’est bien entendu notre priorité. La chose importante à retenir, c’est que les négociants mettent souvent en bouteille un fût à la fois. Nous nous pouvons avoir jusqu’à 50 fûts pour un assemblage. Donc ce qui intéresse les négociants, c’est de mettre en avant les singularités entre les différents fûts, et je pense que c’est le seul argument de vente qu’ils aient. Mais cela offre aussi à des fûts uniques, au caractère unique, l’opportunité d’être dégustés en tant que tels.

6 -  Que pouvez-vous nous dire sur la double-maturation? Est-ce que le fait de changer de place le distillat durant la maturation affecte la stabilité de celui-ci? Hormis l’assemblage entre des fûts de chêne américain et de chêne espagnol, est-ce que la distillerie Highland Park a déjà eu recours à d’autres types de fûts? Y-a t’il une durée idéale de seconde maturation à votre avis (je pense au cas de vins mûtés, que ce soit du Porto, du Madère, du Sherry-pas aux vins classiques). Avez vous déjà tenté des maturations en fûts de Porto?

       Oui, nous avons mis à vieillir du Highland Park dans des fûts de Porto, mais il ne s’agit pas de fûts de seconde maturation, mais plutôt de maturation intégrale. Ils sont mis à vieillir depuis environ 12 ans. Ce que nous allons faire de ces fûts? Qui sait... Ils ont échappé à notre vigilance, et n’ont pas été portés à notre attention pendant une longue durée. Nous continuons à utiliser des fûts de Sherry de type Oloroso, et nous ne pensons pas que l’on obtiendra de meilleurs résultats en ayant recours à des affinages.

7 -   Une question dans le prolongement de la précédente, Daryl : Gerry Tosh (NDLR : le responsable de la marque, son ambassadeur principal si vous préférez) explique souvent dans ses interviews l’intérêt de combiner les deux types de fûts utilisés majoritairement par la distillerie, à savoir les fûts de chêne américain (“American Oak”) et les fûts de Xérès européens (“Spanish Oak”-Sherry). Avez-vous déjà eu recours pour la maturation du distillat, même pour des experiences, à différents types de Sherry tel l’Amontillado, l’Amoroso, le Fino ou le Pedro-Ximenez?

      Non nous n’y avons pas eu recours. Si cela avait eu lieu, il aurait fallu de longues années de maturation pour qu’il puisse changer véritablement le caractère de notre whisky. Le fût est ce qui nous donne le caractère et la saveur, pas le sherry. Si nous faisions des affinages durant par exemple 4 à 6 mois, alors nous pourrions voir des réminiscences du Sherry influer sur le profil aromatique final. Il en va de même pour les autres types de Sherry que vous citez, ils auraient leur part dans le style maison...

8 -   Comment choisissez-vous les fûts qui sont utilisés pour créér les différents versions d’Highland Park?

Quand nous évaluons les whiskies, nous les sélectionnons d’abord par leur couleur (NDLR : depuis 2007 la distillerie dit ne plus utiliser de colorant –du caramel ajouté-pour ses whiskies). Nous n’utilisons pas de caramel ajouté donc nous devons nous reposer sur les fûts de Sherry (chêne européen) de premier remplissage pour la couleur. Pour le profil aromatique, nous voyons d’abord ce que ces fûts ont à nous apporter, puis jugeons en conséquence du pourcentage de fûts de Sherry de second remplissage (ou davantage) nécessaire pour l’élaborer. Nous faisons de même pour nos fûts de Sherry provenant de chênes américains, puis les choisissons pour l’assemblage. C’est tout un processus. Max MacFarlane en est le responsable.

9-   Nous voyons parfois des versions de négoce de whiskies de la distillerie Highland Park à un fort titrage, bien plus que nous aurions pu le penser. A quel pourcentage d’alcool remplissez-vous les fûts avant vieillissement?

         Nous remplissons nos fûts avec un alcool à 69,8 % A.B.V. (alcool par volume).

 

 Warrior Series

La gamme complète des "Warrior Series"...du moins cher (à gauche) au plus cher (à droite), tous sans mention d'âge (renseignement pris, c'est en effet tenu secret, mais l'on peut en avoir une idée en comparant leur prix et leur place dans la gamme...personnellement je pense à une amplitude 8/10 ans d'âge pour le premier et sans doute 30 à 40 ans d'âge pour le dernier).

 

 

3/ Les gammes de Highland Park :

 

10- A votre avis, en quelques mots, qu’est-ce-qui pourrait le mieux résumer l’identité spécifique & l’intérêt des whiskies de la distillerie Highland Park.

     Je dirais : “Délicatement fumé et étonnamment doux”. Nous utilisons une variété de tourbe sans résidus d’arbres (NDLR : en raison d’un climat très venteux, il n’y a pas d’arbres sur les îles Orcades) et des fûts de chêne ayant contenu du Sherry, et ce sont ces deux éléments qui rendent les saveurs de Highland Park si unique.

11 - Qui chez Highland Park définit l’amplitude de vos gammes de single-malts, le choix des versions réservées au marché hors-taxe (“global travel retail editions”), des versions millésimées? En fait quelle est la marge de manoeuvre du maître-distillateur par rapport à la division marketing (sans parler de la politique du groupe Edrington qui possède la distillerie)?

C‘est un travail d’équipe. L’équipe de marketing doit savoir comprendre la demande du public. Le fabricant du whisky, lui, doit connaître son stock et sa disponibilité pour rencontrer cette demande, tandis que le maître-distillateur (Graham Manson, qui est aussi le directeur de production-NDLR) prépare le whisky pour les considérations à plus long terme. Nous travaillons tous de concert pour que cela puisse se réaliser.

12 - Lequel de vos whiskies considérez vous comme le meilleur dans l’histoire de la distillerie, et le meilleur de la dernière distillerie? (merci de donner des exemples précis....).

      Le Highland Park 25 ans à 45,7 % (l’édition 2013) qui a récemment gagné le prix du “Meilleur spiritueux au monde “ et 100 points à l’Ultimate Spirits Challenge. Qui suis-je pour contester cela? Par ailleurs j’aime aussi le Highland Park 21 ans à 47,5 %. Il a un goût de paradis.

13 -Comment décidez-vous, lorsque vous choisissez des fûts pour l’assemblage de vos single-malts (ou pour créér une nouvelle version) du nombre de fûts qui seront utilises à cet effet?

Nous réalisons des assemblages-test à partir de petits samples. Nous avons un panel de dégustateurs qui va ensuite tester ces versions. Si tout va bien, l’assemblage choisi sera reproduit à plus grande échelle afin de le commercialiser.

14. -Combien de fûts sont utilisés pour le 18 ans d’âge de la gamme régulière, comparativement à la version d’avant 2007 (date du changement de packaging). Est il vrai que la version la plus récente des deux comporte moins de fûts de plus de 18 ans que la version précédente, cela étant dû, dit on, à la raréfaction de fûts plus ages? (j’ai cru comprendre que pendant longtemps, des fûts de 20 à 30 ans d’âge étaient même utilisés, certes en petite quantité). L’édition la plus récente n’a t’elle que des fûts de 18 ans d’âge?

       Concernant le 18 ans d’âge, nous utilisons toujours un assemblage de plusieurs âges, au delà de 18 ans d’âge. Mais aucun assemblage ne sera jamais le même, car il n’y a pas de recette exacte. C’est la part amusante dans ce que nous faisons. Je ne peux pas trop en dire au sujet des anciennes versions du 18 ans, tout ce que je peux dire c’est que ce ne sont pas tous des 18 ans d‘âge...

15-  Est-ce pour cette raison que vous avez développé, comme d’autres distilleries, de nouveaux millésimes et des versions sans mentions d’âge plutôt que de nouvelles expressions avec mention d’âge?

      Les versions millésimées ont été créées dans le but de définir une séparation nette entre le marché hors-taxe (NDLR : versions duty-free dites “global travel retail editions”) et le marché intérieur.

16Vous représentez une des distilleries les plus célébres et une des plus respectées dans le monde du whisky, bien que nombre de personnes dégustent votre single-malt sans le savoir (en tant qu’ingrédient important du blended-whisky “The Famous grouse”). Les passionnés du whisky (dont je suis) reconnaissent que vous avez franchi une étape, en 2007, lorsque vous avez décidé d’abandonner l’ajout de caramel à vos single-malts. Alors, beaucoup d’entre nous, moi le premier, s’interrogent sur ce qui sera la prochaine étape pour la distillerie dans le sens de la recherche de davantage encore d’authenticité ? Est ce que vous allez décider de ne plus filtrer à froid vos whiskies, de remonter le degré d’alcool (comme Bunnahabhain et Ledaig l’ont fait), ou encore explorer les possiblités de travail du bois comme l’ont fait par exemple Compass Box ou Glenmorangie?

      Nous travaillons plus que d’autres sur la politique du choix du bois, c’est même au coeur de ce que nous faisons. Mais l’endroit le plus propice à l’expérimentation et excitant pour nous est notre aire de maltage. Nous avons étudié récemment la possibilité d’utiliser de l’orge locale et nous allons voir comment cela pourrait se développer dans le futur. Nous ne ferons pas de suivisme, nous voulons faire ce que nous sentons être juste et aussi écouter nos consommateurs.

17 -En tant que consommateurs, comment devons-nous juger de la qualité d’un single-malt brut de fût (je pense par exemple au 12 ans d’âge version cask strength de la maison, nommé “Hjarta”, sorti il y a quelques années)? Devons nous le juger pur ou dilué? Quelle est la quantité d’eau idéale selon vous?

Ajoutez de l’eau petit à petit jusqu’à ce que vous sentiez que c’est la bonne quantité d’eau pour votre palais. Personnellement j’aime déguster mon whisky même réduit à 40 %, d’autres le préfèrent à 50 %. Vous savez, c’est comme commander un steack au restaurant, c’est très personnel. Dégustez le comme vous l’aimez.

18-  Que pensez-vous des “Small batches” (NDLR : petits lots de fûts) comparés aux single-malts produits à grande échelle? Selon vous qu’est ce qui parmi ces deux options est le plus efficace pour exprimer toutes les qualités des single-malts d’Highland Park en particulier?

     Les single-casks donnent une idée de la personnalité d’un seul fût. Je pense que les small batches (ou les assemblages plus larges) vous permettent d’avoir une idée plus générale de ce que Highland Park crée. Cela vous assurera de retrouver la douceur et le caractère fumé dans chaque bouteille. C’est là ou le role de Max (NDLR : Max MacFarlane, “whisky maker”) est si important. J’aime déguster mon whisky, sachant qu’il a sélectionné des fûts spécialement pour cette version là en particulier que je déguste.

19.   Que peut-on attendre dans un future proche de la part de la distillerie, après la gamme “Warrior series” et les deux dernières expressions à venir de la “Valhalla collection” (“Odin” & “Freya”) ?

Nous avons de bonnes choses qui arrivent bientôt. Je pense aussi que les 2 derniers whiskies de la “Valhalla collection” vont vraiment être quelque chose d’unique. Le mois de février approche et je suis impatient d’y être pour voir ce que les gens vont en penser. Au delà de Valhalla, il faudra voir...

La “Warrior series” a suscité une forte demande, nous sommes incrédules devant un tel intérêt pour cette gamme. J’aime le fait que nous ne sommes pas là dans le territoire typique du whisky et je pense que cela va entraîner par la suite d’autres incursions en dehors de ce territoire.

20. Quand pensez-vous venir en France pour peut être assister à un Salon du whisky? Une distillerie d’une telle importance mérite mieux que le sort qui est réservé au public français. Beaucoup d’amateurs de la distillerie (moi le premier!) pensent que vous devriez envoyer un ambassadeur écossais ...alors à bon entendeur, merci d’avance !

 J’étais là en fait l’an dernier, tandis que les premières versions de la “Valhalla collection” étaient déjà très recherchées. Je viendrais peut être l’an prochain.

Group of HP Bottles 

A gauche des éditions récentes de la distillerie, à droite deux anciennes versions d'avant 2007 (Photo © Grégoire Sarafian).

 

 

 

Greg’s Whisky Guide:

 Un grand merci pour vos réponses à cette interview à distance...

 

(Traduction : Grégoire Sarafian -12/10/2013)