Editorial No 20
Dernière minute (07/03/2017):
A VENIR TRES BIENTOT:
-Nouvel Editorial (N°21), composé cette fois que de notes de dégustation de whisky...
-Nouveau sujet "Gros Plan" (sur une distillerie écossaise à l'honneur cette année),
avec une interview exclusive ainsi que des notes de dégustations également en partie exclusives
Merci de votre patience !
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EDITORIAL No 20:
« N.A.S. OR NOT N.A.S. ?...THAT IS THE QUESTION »
(ou...Quid des whiskies sans compte d'âge?)
Première Edition/1st Edition: 02/11/2016
Mise Ă jour/Update: 28/12/2016
INTRODUCTION :
Pour ce nouvel éditorial, je vous propose un retour à une forme plus traditionnelle par rapport à la presse classique, au-delà des habitudes de mon site, donc plutôt sur l’expression d’un point de vue sur un phénomène d’actualité plutôt que le traitement des nouveautés,car une grande partie de ces nouveautés est d’ores et déjà présente soit à l’intérieur du reportage sur le Whisky Live Paris, soit dans la gigantesque liste thématique de près de 200 whiskies abordables conseillés déjà en ligne, ou encore risque de l’être dans d’autres reportages à suivre. Par ailleurs j'ai mis à jour ma liste de mes distilleries préférées, qui tient compte également de ce phénomène des whiskies sans compte d'âge.
Reportage sur le Whisky Live Paris 2016 (my report about Whisky Live Paris 2016 edition): Ici/Here
Liste de plus de 200 whiskies abordables des années (202 recommended affordable drams, including 92 favorite from all over the world): Ici/Here
Liste de mes distilleries préférées récemment mise à jour (my updated Top 100 Distilleries worldwide): Ici/Here
La Fabrication du Whisky-Sujet récemment mis à jour (my updated How whisky is made topic-in French): Ici/Here
Pour ce faire, j’ai repris la conclusion de mon reportage sur le Whisky Live Paris 2016 et je l’ai modifiée et largement développée, afin de tenter de « clore le débat », si j’ose dire, pour autant que ce soit possible, sur le phénomène des « n.a.s. », c’est-à -dire des whiskies sans compte d’âge qui sont en pleine prolifération de nos jours.
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« N.A.S. OR NOT N.A.S.? THAT IS THE QUESTION »:
(ou...Quid des whiskies sans compte d'âge?)
PREAMBULE:
Un des problèmes de notre époque concernant le whisky c’est donc le phénomène désormais bien implanté des n.a.s. (whiskies sans compte d’âge) ET celui des whiskies axés sur la « wood technology » (ce sont d'ailleurs le plus souvent les mêmes), un phénomène similaire à , il y a quelques années, celui de la « parkerisation » dans les vins de Bordeaux ( du nom d'un écrivain américain du vin nommé Robert Parker et qui, je pense, bien malgré lui, par ses choix, à concouru à promouvoir un certain type de profil aromatique pour les vins). Ce phénomène a entraîné l’obsession de la « micro-oxygénation » des vins, en grande partie créée, puis soutenue par l’œnologue Michel Rolland (à ce sujet, voir le terrible documentaire « Mondovino » de Jonathan Nossiter sorti en 2004). Disons-le clairement, ce sont souvent les mêmes produits qui souffrent à la fois du « n.a.s. non transparent » et de la « wood technology » (même s’il y a de belles exceptions encore cette année), et, au passage, par une augmentation significative du prix de vente pour des whiskies gloablement plus jeunes que leurs prédécesseurs, d'ou aussi le scandale et la rebéllion de certains consommateurs, forumeurs et bloggeurs. Comme je vais tenter de le démontrer ci-dessous, les n.a.s. constituent donc un phénomène significatif tant des enjeux de qualité, de pérénnité du whisky que de l''accessibilité du whisky au plus grand nombre et à cet égard, dans un monde de demande forte pour le whisky, ne font (pour la plupart, pas tous, certes) que souligner l'aseptisation industrialisée du goût qui est également présente dans l'alimentation. La seule différence, au moins pour les whiskies sous cadre légal strict (écossais, irlandais, surtout), c'est que l'on ne peut normalement pas trouver autant d'additifs et de cochonneries légales divers dans le whisky...une maigre consolation.
Le The GLENLIVET "Cipher", au delà du coup marketing, l'archétype de l'opacité des whiskies sans compte d'âge...bien sûr j'aurais pu aussi choisir le HIGHLAND PARK "Dark Origins".
Deux whiskies qui ne sont pas mauvais, non, il faut être honnête, mais trop "technologiques" (trop poussés sur le boisé) et sans grand intérêt pour un prix assez conséquent.
-NE PAS CONFONDRE N.A.S. (HISTORIQUES) ET N.A.S. (CONTEMPORAINS) :
Cependant il convient ici de rappeler, pour les lecteurs pas encore trop au fait de ce problème, qu’il ne saurait être question de mettre tous les whiskies dans le même sac, comme il m’arrive de le lire ici ou là sur des forums ou blogs ou billets de journalistes mal informés. Certains ont même choisi par principe de refuser de chroniquer un whisky dès lors qu’il sera sans compte d’âge. J’ai du respect pour cette démarche, mais pour moi elle est tout de même « à courte vue », dans la mesure ou en supprimant toute critique détaillée du whisky, elle ne fait d’une part aucune différence entre les différents cas de n.a.s. et, de l’autre, n’encouragent pas les producteurs à en produire de meilleurs car la critique demeure globale, donc ne vise aucune distillerie ou négociant en particulier, alors qu’une critique sur une bouteille en particulier a un certain impact.
En effet, comment comparer (par exemple) les jeunes The Singleton of DUFFTOWN sans compte d’âge que sont les "SUNRAY", "TAILFIRE", "SPEY CASCADE", "UNITE" ou encore "TRINITE" (réduits à 40 %, colorés artificiellement, filtrés à froid, assez jeunes, etc…) avec un single malt en édition limitée et sans compte d'âge comme par exemple l’ABERLOUR « A’Bunadh », créé avec une large variété de cuvées ou millésimes à partir de données précises et exigeantes (la majeure de fûts de sherry de premier remplissage, la non filtration à froid, la présence de quelques fûts de plus de 10 ou 15 ans, le titrage élevé, etc…). C’est tout simplement ridicule, pas sérieux…et je pourrais multiplier les exemples, même si « du bon côté de la force », il n’y a tout de même pas énormément d’exemples de bons n.a.s. en dehors des whiskies des jeunes distilleries : Le KILCHOMAN « Sanaig » ou le jeune single malt de WOLFBURN en sont de bons exemples, d'autres seront cités plus loin.
Mais il y aussi ce que je nommerais personnellement les versions n.a.s. "historiques", c'est à dire issues du début des années 2000, voire avant : 1998 pour l’ABERLOUR « A’Bunadh » qui ne comportait pas de numéro de lot à l'origine), comme le sont aussi l’ARDBEG « Uigeadail » (premère édition en 2003), le LAPHROAIG « Quarter Cask » (première édition en 2004), ou l'ISLE OF JURA "Superstition" (première édition en 2002) ou encore comme l’étaient les SPRINGBANK, HAZELBURN & LONGROW en version dite « C.V. » (encore une fois tous des whiskies avec une amplitude de différents âges assez conséquente-la première édition du SPRINGBANK "C.V." est moins évidente à dater, mais la plupart des sources mentionnent "le milieu des années 1990" comme première sortie-personnellement je peux attester qu'elle est en tout cas inférieure à l'an 2000). Ces whiskies sont tous des assemblages de fûts d'âges différents, et parfois avec une grande amplitude, comme pour les SPRINGBANK & marques associées (au moins sur 10 ans, parfois de 8 à 30 ans d'âge) ou le JURA "Superstition" qui contient des whiskies de 8 à 21 ans d'âge.
Un peu plus tard, la distillerie TOMINTOUL sortait un single malt anonyme tourbé sous le nom de « Old Ballantruan », ce sans mention d’âge. Un whisky relativement jeune, lui, mais de qualité. Les exemples abondent et je ne peux les citer tous, j’en oublie sûrement certains qui ont pu marquer leur temps…
L'ABERLOUR "A'Bunadh" (ici l'excellent batch 46), archétype du n.a.s. historique réussi...Photo: © Grégoire Sarafian
Du côté du négoce, et notamment concernant les whiskies tourbés, il faut citer parmi les excellents n.a.s. des années 2000 (et ils existent encore !) les « Smokin’ Islay » et autres « Peat Reek » de BLACKADDER, mais aussi les ILEACH « Cask Strength » ou FINLAGGAN « Cask Strength » (plus intéressants que leur version réduite à mon avis) de négociants plus obscurs, ou encore les discrets mais efficaces « Berry’s Speyside Reserve » et « Berry’s Islay Reserve », des blended malts cette fois, de BERRY BROS & RUDD....et je ne parle même pas des créations de John Glaser de COMPASS BOX qui remontent à l’an 2000 exactement (je reviendrais sur ce dernier cas plus loin, sur la question de la transparence). Oui les whiskies de COMPASS BOX ont quasiment toujours été des whiskies sans compte d'âge, mais la société a depuis ses débuts toujours communiqué sur l'âge, mais en amont (à la sortie du whisky, sur le site) ou en aval (directement face au consommateur sur les stands des salons, et souvent même par écrit).
Plus près de chez nous, il y aussi des whiskies sans compte d’âge d’un intérêt certain (eh, oui !), par exemple, les ARMORIK (ce depuis son lancement en 1999) et les GLANN AR MOR (souvent en dessous des 6/7 ans d’âge-et ce depuis 2008 pour son premier 3 ans d'âge) embouteillés assez jeunes sont pourtant plus « prêts à déguster » que bien des whiskies jeunes d’Ecosse. L'on peut citer également, comme déjà signalé sur G.W.G., également des single malts de chez MICHARD & et de chez JSD, deux distilleries françaises produisant nouvellement du whisky. Qui plus est les "EDDU" de la Distillerie des Menhirs n'ont jamais porté de compte d'âge à ma connaissance, ce qui n'a pas empêché une certaine qualité.
En Europe encore, Il y a aussi les exemples des distilleries MACKMYRA & BOX (les seules distilleries suédoises dont j'ai pu déguster des whiskies à ce jour), ou encore (j'ai eu confirmation de la qualité de ces whiskies plus récemment), ceux de la distillerie allemande SLYRS, qui a une exception près (le 12 ans d'âge, irrégulièrement produit) n'ont pas de compte d'âge.
De même, est-ce qu’un CAOL ILA « Moch », un des premiers n.a.s. de l’ère « contemporaine » (sa première édition est sortie en 2011), si j’ose dire, et, à fortiori, forcément, la gamme « Private Edition » de GLENMORANGIE (rarement en dessous de 10/12 ans d’âge) sont comparables avec un TALISKER "Storm" ou "Skye" ? (corrects mais clairement issus de la "wood technology"). Pas si sûr…Si le CAOL ILA "Moch" est relativement jeune (même s'il contient minoritairement un peu de 18 ans d'âge), en revanche, les single malts de la gamme "Private Editions" de GLENMORANGIE (hormis l'un d'entre eux me semble t'il, qui aurait un compte d'âge ?) sont tous âgés de plus de 10 ans...
Le GLENMORANGIE "Tusail", de la gamme "Private Edition", de vrais-faux n.a.s. de plus de 10 ans, avec la qualité au rendez vous.
Certes l’on peut légitimement s’inquiéter de certaines sorties officielles haut de gamme, dans les « Special Releases » de Diageo, par exemple, qui, depuis peu arrivent sur le marché comme les versions n.a.s. de CLYNELISH (la série « Select Reserve », des bruts de fût...) au prix de vente d’entrée de jeu annoncé à plusieurs centaines d’euros… Là on se doute qu’il ne s’agit pas d’un trois ans d’âge, mais d’un travail d’assemblage soigné et de grande amplitude d’âge, mais sans certitude totale sans l'avoir dégusté (ceci étant dit, plusieurs bloggeurs de renom, Serge Valentin en tête, semblent tout de même considérer que l'on tient là une réussite, un remarquable travail d'assemblage contenant manifestement une proportion honnête de whiskies âgés).
Cette tendance semble s’accentuer dans un segment inférieur, avec les récents TALISKER « Neist Point » ou le LAPHROAIG « Lore », vendus à un peu plus de 100 € sans justification particulière…Au public de déguster, s’il le peut encore, et de décider si le prix se justifie dans ces cas…Je n'ai pas eu l'occasion de déguster ce TALISKER, mais le LAPHROAIG oui, et je l'ai bien apprécié (il comporte une part de fûts de sherry).
Pour donner un exemple récent positif, j’ai trouvé par exemple que les deux récents SCAPA (« Skiren » et « Glansa ») sans compte d'âge, sans être des chefs d’œuvre pour autant, s’en tirent plus qu’honorablement. Cela laisse un peu d’espoir.
Le SCAPA "Skiren", un joli n.a.s. (whisky sans compte d'âge), une réussite. Photo: © Grégoire Sarafian
Donc pour moi, pour être clair, un bon whisky sans compte d’âge, cela peut exister, et ce serait un whisky pour lequel le maître-assembleur aurait fait, tel un peintre, un assemblage de « couleurs » différentes, soit de saveurs différentes, de présence, de puissance, de digestion des notes de new make, des esters, de stabilisation des notes tourbées (etc…), d’âge bien sûr différents, ce pour avoir un whisky complexe et expressif, ou bien complexe et très fondu, par exemple. Typiquement les premiers whiskies n.a.s. de l’ère contemporaine (fin années 1999/ début années 2000) cités ci-dessus en sont de parfaits exemples.
-PENURIE, QUELLE PENURIE ?
La question de la pénurie de stock de whisky, souvent avancée par les producteurs, pour justifier le passage des whiskies à compte d’âge aux n.a.s. (sans compte d’âge donc) et à travers cela, soyons clairs, justifier une augmentation de prix sans contrepartie de qualité automatique, si elle peut être prise en compte concernant les fûts âgés (moins nombreux dans certaines distilleries, mais pas chez toutes, qui attendent le bon moment pour sortir des versions « ultra-méga-premium » -j’ai beau faire je n’ai jamais pu accrocher à ce terme) ne se justifie pas autant pour la majorité de la production.
En effet, si l’on se base sur les statistiques de production de Scotch whisky de l’année 2015 (estimations de la Scotch Whisky Industry Review), l’on constatera que si baisse il y a, elle demeure légère : Pour 600 millions de litres d’alcool pur cette année là (contre 655,7 en 2014), 280 millions proviennent de la grosse centaine de distilleries de malt, tandis que 320 millions proviennent des 7 seules distilleries de grain, tandis qu’en 2014 il y eu 305,7 millions de litres pour les distilleries de malts pour 350 millions de litres pour les distilleries de grain. Mais si l’on revient encore en arrière, rien que pour les distilleries de malt, la production a été certes de 294,9 millions de litre d’alcool pur en 2013 (soit un peu plus qu’en 2015), mais davantage qu’en 2012 (272,8 millions), ou qu’en 2011 (239,3 millions) et ainsi de suite. Et ce n'est qu'une partie des statistiques auxquelles j'ai eu accès, mais comme toutes vont grosso modo dans le même sens que celle ci-dessus, je ne veux pas vous ennuyer avec trop de chiffres...
Ce que les propriétaires de distilleries oublient donc de mentionner également au sujet des n.a.s., en effet, ce sont les extensions de capacité de production de plusieurs de celles-ci ces dernières années (comme celles de DAILUAINE, GLENBURGIE, The GLENLIVET, GLENMORANGIE, LINKWOOD, LONGMORN, MANNOCHMORE ou encore MORTLACH, TEANINICH) ou reprises de production, comme chez GLEN KEITH et TAMDHU en 2012, ou encore simplement d’extension des capacités d’entreposage (à venir chez ARRAN, BRUICHLADDICH, KILCHOMAN, et j’en passe) qui ont un impact important sur leur capacité à reconstituer ces stocks dans un avenir proche, surtout s’ils ont abaissé l’âge du contenu de leurs whiskies devenus pour certains des n.a.s. …et qu’ils sont facturés plus chers que des 8 ou 12 ans d’âge déclarés…ce qui arrive de plus en plus souvent hélas.
En plus d'un certain maintien donc de la capacité de production de whisky écossais, il faut aussi tenir compte des nombreux projets de nouvelles distilleries (indépendantes ou venant renforcer la capacité de production des grands groupes qui les possèdent) à venir. La source « whisky » n’est donc pas prête de se tarir !
L'on voit donc bien que la raison principale de cette décision de promouvoir les n.a.s. est avant tout un calcul financier, une recherche de profit à court terme davantage que de sauvegarde de ce qui a fait la réputation des marques (à cet égard le meilleur exemple de cette dégringolade demeure à mes yeux celui de The MACALLAN) et de réflexion sur le long terme. Au consommateur alors d’être clairvoyant et de tenter d’influer sur cette tendance en boycottant les whiskies qui ne le satisfont pas en terme de rapport qualité/âge estimé après dégustation/prix.
La distillerie MORTLACH, largement rénovée en 2015 et dont l'accroissement de la production est en cours.
-POURTANT, AU COMMENCEMENT ETAIENT…DEJA DES N.A.S. !
Une information souvent oubliée ou occultée par ceux qui parlent des n.a.s. de nos jours, c’est qu’historiquement les premiers single malts parus sur le marché du Royaume-Uni, puis par exemple en France furent DEJA des whiskies sans compte d’âge. Ainsi, dans les années 1960, les premiers single malts disponibles en France furent des GLENFIDDICH, et ils portent soit la mention « Pure Malt », soit « Straight Malt », celle du titrage (encore en « proof »), du lieu de mise en bouteille, l’adresse, etc…mais pas de mention d’âge, ou une mention d’âge relativement jeune. D’ailleurs certains des whiskies les plus recherchés par les collectionneurs et les mieux notés par les bloggeurs ne sont-ils pas des whiskies de moins de 15 ans ? Je pense par exemple aux TALISKER nas, voire de 8 ans d’âge embouteillés par GORDON & MacPHAIL dans les années 1970, à des PORT ELLEN jeunes (11 à 15 ans) ou des LAPHROAIG 10 ans embouteillés par diverses sociétés italiennes comme par exemple BONFANTI pour ce dernier.
Le GLENFIDDICH « Straight Malt », sorti en 1961, un n.a.s. avant la lettre...il fut suivi plus tard par un "Pure Malt" de 8 ans d'âge.
Par ailleurs, au-delà de la question des n.a.s., n’oublions pas que la question du vieillissement des whiskies est encore relativement récente…au début du XVIII ème siècle, même en Ecosse, vous aurez du mal à trouver des whiskies âgés…Les films de type western, en réalité sont tous faux du point de vue de la véracité historique concernant les whiskeys…Les whiskeys servis dans les bars sont tous fortement ambrés, voire aussi noirs qu’un LOCH DHU, alors qu’ils auraient du…ressembler à des distillats purs, soit de couleur transparente ! L’on distillait pour boire dans la foulée ou dans les jours ou semaines qui suivaient, pas pour les conserver longtemps. C’est par accident lors d’un transport par bateau que l’on s’est aperçu, d’abord pour le rhum, puis pour le whisky, que plusieurs semaines de trajet pouvaient changer le goût du contenu. Pour faire court, l’obligation légale de faire vieillir le whisky 3 ans au minimum n’apparait qu’au début du XX ème siècle.
-L’AGE NE FAIT PAS TOUT, MAIS TOUT DE MEME…
Alors que dans les slogans publicitaires sur le whisky des années 1990/2000, l’on insistait sur le fameux « Age matters » et encore en 2013 comme le démontre cette publicité de Pernod-Ricard-ou le master-blender de CHIVAS REGAL Colin Scott-que j’ai eu l’occasion de rencontrer et même de cotoyer lors de ma participation à un concours d’assemblage professionnel-le dit lui-même, « au moins avec cette mention d’âge on ne peut vous tromper, sinon cela veut dire que sans mention d’âge votre seule garantie c’est qu’il soit âgé au moins de 3 ans et un jour »-voir la vidéo ci-dessous. Comme gage ultime de qualité pour un whisky, aujourd’hui, comme par magie, c’est le contraire, comme l’expliquait il y a quelques mois un ambassadeur de la distillerie The MACALLAN, lors d’une dégustation, à Paris. L’âge n’aurait plus d’importance, mais seulement le travail de l’assembleur (euh, du bois, plutôt, non ?), si…Tu m’étonnes !
Bien sûr que le travail de l’assembleur est primordial (et il travaille aussi sur les single malts, ne serait-ce que sur le contrôle qualité, et bien sûr plus précisément sur les éditions limitées), mais le consommateur s’est il seulement une fois interrogé sur la mention « hand picked » ou « hand selected » portée sur les étiquettes de certaines éditions limitées ? Cela veut dire quelque chose…comme le fait que pour les grosses productions, le choix des fûts est fait par la machine, pas par l'homme, pas fût par fût, mais au hasard ou presque, suivant les spécifications demandées (type de fût, âge indiqué, tourbé ou pas tourbé, etc…).
La gamme "1824" de The MACALLAN, pas mauvaise, mais qui fait pâle figure comparée aux MACALLAN des années 1980
à comptes d'âge, mais aussi face aux versions de négoce sous licence de GORDON & MacPHAIL de la série "Speymalt".
Après l’échec (relatif, mais significatif) de sa gamme « Fine Oak », la distillerie The MACALLAN (enfin, disons plutôt le propriétaire et le chef de produits….) espérait, avec sa « 1824 series » (qu’il aurait du renommer « Color series »), relancer la marque, déjà entachée précédemment par le passage du "tout sherry" à la gamme 'Fine Oak". La gamme "'1824" est une gamme dont les whiskies portaient le nom d’une couleur, et accessoirement, comme l’a récemment fait remarquer un bloggeur, également des prénoms féminins non exempts de connotations lestes- « Amber, « Gold », « Sienna » ou encore « Ruby », jugez vous-mêmes (désolé pour les porteuses de ces prénoms, c’est le contexte qui fait sens, pas les prénoms seuls, bien sûr), sans nous garantir par ailleurs que le E150a (la coloration artificielle) n’était pas passé par là , faussant (si c’est le cas) toute véritable charte des couleurs.
Chivas Campaign: Age Matters...(vidéo)
Tout comme d’autres types d’alcool (je pense à l’Armagnac, au Cognac, mais aussi au Calvados, à la Prune, entre autres eaux-de-vie), le whisky a besoin de temps pour s’exprimer, et il est difficile de généraliser, dans la mesure ou compte tenu des spécifications de production de chaque distillerie, certains distillats seront prêts avant les autres (GLANN AR MOR, The BELGIAN OWL ou encore CAOL ILA en sont de parfaits exemple, pas besoin d’attendre 10 ans, ils sont prêts dès 3 à 5 ans d’âge pour les deux premiers, dès 7-8 ans pour le troisième), à leur apogée bien avant d’autres, sans compter les whiskies tourbés qui ont tendance à perdre leur expressivité et leur fumée après 20 ans, en général bien sûr.
En revanche, d’autres whiskies, comme souvent les BUNNAHABHAIN, les GLENFIDDICH, les LAGAVULIN ou encore les STRATHISLA auront besoin de plus de temps pour s’exprimer pleinement, soit à mon avis entre 15 et 40 ans d’âge.
"The BELGIAN OWL", un excellent jeune whisky encore trop méconnu, pas assez disponible en France à mon avis.
Je dirais que la question était jusqu’à l’an dernier moins cruciale pour les whiskeys d’Irlande, tant les principaux producteurs n’utilisaient pas toujours les compte d’âge, expliquant que pour eux « 7 ans d’âge » étaient la norme et l’âge optimum. De nos jours la question est un peu plus délicate, car des versions connues, réputées avec compte d’âge sortent désormais « sans compte d’âge ». Et parfois, comme dans le cas du JAMESON « Crested » (pas d’indication d’âge) qui remplace le « Crested Ten » (10 ans d’âge), la nouvelle version s’en sort très honorablement par rapport à celle d’origine.
Le JAMESON "Crested", un n.a.s. joliment fruité. Photo: © Grégoire Sarafian
Concernant les whiskies produits dans des pays à forte amplitude de chaleur (comme par exemple les Etats-Unis) et/ou d’humidité (à fortiori à climat tropical comme l’Inde, ou Taïwan ou la part des anges-l’évaporation naturelle de l’alcool pouvant y être entre 5 et 8 fois supérieure à celle de l’Ecosse, qui est d’environ 2 % par an), la question de la durée du vieillissement est moins cruciale, puisque les fûts sont traditionnellement neufs et plus fortement brûlés que les fûts écossais, accélérant le vieillissement. Il en est ainsi des distilleries KAVALAN & NANTOU (Taïwan) et des distilleries AMRUT & PAUL JOHN (Inde). Par ailleurs, comme corollaire de cela, la teneur en alcool peut même augmenter avec le temps dans certains chais-chauffés ou pas-du Kentucky (c’est ce qui arrive notamment aux whiskeys à fort titrage tels que les George T. STAGG) et survient un moment ou il faut absolument stopper le vieillissement. Au mieux des whiskies âgés de seulement quelques années peuvent parfois donner l’impression de whiskies âgés d’une dizaine d’années ou plus, et offrir une impression de maturité, au pire, le boisé de ces whiskies sera à la limite du supportable voire au-delà .
Le KAVALAN "Solist" Sherry cask, un brut de fût qui a le vent en poupe en provenance de Taïwan.
-LES DESSOUS DE LA QUESTION DE LA TRANSPARENCE DANS LE WHISKY :
Comme j’ai déjà traité sur ce site de la question de la transparence telle qu’elle s’est posée notamment l’an dernier au sujet des whiskies « The Circus » et « Flaming Heart » de la maison COMPASS BOX (dont les plaquettes d’information et les données techniques du site internet divulguaient l’âge du plus jeune composant comme celui du plus âgé, ce qui est interdit par la S.W.A.-la loi n’autorise que la mention du plus jeune whisky de l’assemblage), je ne reviendrais pas sur le problème spécifique posé à juste titre par ce négociant-assembleur aux décideurs, mais plutôt sur le lien entre ce problème et celui des n.a.s. :
En effet, à la condition de spécifier le pourcentage des whiskies plus âgés que l’âge minimum indiqué (pour ne pas se retrouver avec une escroquerie du type 0,01 % de 40 ans d’âge pour le reste de 3 ans d’âge), qu’est-ce-qui empêche le producteur d’indiquer sur la bouteille la part des whiskies plus âgés et l’âge en question ? Hormis le fait de dévoiler une éventuelle recette secrète, ce qui peut se comprendre à la rigueur pour un blended whisky, pour qui c’est essentiel et constitue en quelque sorte la marque de fabrique de l’assembleur, différente de celle du concurrent, j’y vois surtout une autre explication, moins reluisante et jamais évoquée, et dirigée contre les négociants de whisky avant tout et ce de la part des producteurs représentés par la S.W.A. :
Constatant que les assemblages de négoce de type « blended malt » ou « blended whisky de luxe » comportent chez certains un pourcentage non négligeable de whiskies âgés, pour au final un prix dépassant rarement les 200 € (sauf hélas depuis cette année), les producteurs de whisky y verraient une concurrence déloyale envers les versions très âgées et haut de gamme qu’ils proposent, à savoir par exemple des 40 ans d’âge, de plus en plus proposés à 10 fois le prix de ces versions de négoce…Pourquoi en effet payer une fortune un single malt s’il est disponible pour bien moins cher, certes au sein d’un assemblage mais bien perceptible tout de même ? Bien sûr ce n’est qu’une hypothèse, mais je la trouve personnellement assez plausible.
John Glaser de COMPASS BOX, 16 ans de recherches, 16 ans d'impertinences, fer de lance de la lutte pour davantage de transparence.
Concernant les distilleries déjà établies de longue date, les distilleries à caractère industriel (et notamment celles qui ont une capacité de production supérieure à 500 000 litres, et ont réduit les coûts par automatisation majoritaire ou totale, dirons-nous) en dehors de quelques réussites et des versions n.a.s. anciennes, en édition limitée et parfois comparables à des whiskies de catégorie supérieure, il semble clair que derrière l’argument de la pénurie des stocks de whiskies âgés pour justifier l’abandon du compte d’âge (dont nous avons parlé plus haut) se cache une volonté de standardisation de la production, pour faire des économies, oui, mais aussi pour aseptiser progressivement le whisky et le faire se rapprocher de spiritueux plus populaires chez les jeunes comme en premier lieu le rhum et d’obtenir une plus-value par l’augmentation des prix inversement proportionnelle à l’âge réel moyen du contenu du whisky, ce qui est assez scandaleux au final. La qualité s’en ressent et le consommateur exigeant ne s’y trompe pas. Cela vise donc un nouveau public, plus jeune, avide de découvertes (ce dont on ne peut le blâmer) malléable et moins connaisseur (au goût non encore vraiment formé), qui déguste tous types de spiritueux, de manière parfois interchangeable. La cible idéale pour les fabricants d’alcool.
The SINGLETON.... un nom générique pour de trop nombreuses distilleries du même groupe...? On peut s'interroger. Ici des versions avec comptes d'âge, mais il y en a encore beaucoup sans....
A contrario, je pense qu’il faut être plus indulgent avec les jeunes distilleries (j’entends par jeunes celles nées après l’an 2000) ainsi que pour les micro-distilleries, qui soit n’ont pas la capacité encore de proposer un 10 ans d’âge autrement qu’en édition très limitée (donc en épuisant le stock-comme par exemple c’est le risque pour KILCHOMAN), soit dont les jeunes whiskies font déjà leur preuve à 4 ou 5 ans d’âge (comme GLANN AR MOR). Le risque financier est donc plus important pour des distilleries à faible capacité de production comme de stockage -qui vont mettre du temps à reconstituer du stock de whiskies ayant quelques années, a fortiori s’il s’agit de produire un 10 ans d’âge- que pour « les grosses machines » comme The GLENLIVET ou GLENFIDDICH, avec des dizaines de millions de litres d’alcool pur produit chaque année, et d’autant plus si ces distilleries sont artisanales (avec peu ou pas de mécanisation, embouteillage et étiquetage à la main, etc…cela représente souvent plusieurs dizaines de personnes à payer contre 3 ou 4 pour des grosses distilleries ou il y a beaucoup d’automatisation).
-UN PEU D’ESPOIR (AVEC LES NOUVELLES ET/OU MICRO-DISTILLERIES):
Malgré tout, pour ne pas rester sur une note négative, donc, signalons tout de même que parmi mes coups cœur de cette année, figurent deux jeunes distilleries commençant par la lettre « W » et ayant eu l’intelligence par leurs méthodes de production, de contourner le problème de leur jeune âge (leurs whiskies ont moins de 5 ans d’âge !), à savoir WOLFBURN, en Ecosse, dans les Highlands du Nord, et WESTLAND, aux Etats-Unis, sur la côte Ouest…que j’ai fini par élire distillerie de l’année 2016 -voir ma note dans le sujet sur mes meilleurs whiskies abordables de 2015/2016 :
Liste des Meilleurs Whiskies abordables pour 2015-2016
Une jeune distillerie qui promet, avec 2 versions de son single malt de 3 ans d'âge, qui pour l'heure n'a pas besoin d'afficher son âge.
Par ailleurs, au chapitre des bonnes nouvelles, il n’y a pas que COMPASS BOX qui joue les provocateurs (encore cette année avec ce « 3 Year Old De Luxe whisky » qui comporte visiblement une grande majorité de malt bien plus âgé que cela) pour tenter de bousculer le système (et la S.W.A. par ricochet), il y a aussi des distilleries comme BENROMACH, qui a osé l’an dernier sortir un single malt avec un compte d’âge de seulement 5 ans ! (preuve qu’un jeune whisky peut être bon, et il l’est). Il y a aussi encore en 2014 le groupe Bacardi-Martini qui a choisi pour le reconditionnement et le lancement de single malts de son portefeuille (ABERFELDY, AULTMORE, CRAIGELLACHIE, DEVERON, ROYAL BRACKLA) de leur attribuer à tous un compte d’âge, avec parfois des compte d’âge impairs comme pour CRAIGELLACHIE (13, 17, 19, 23) ou faibles (10 ans d’âge pour le plus jeune) comme pour DEVERON. Il y aussi TOMATIN qui a rétabli en partie ses compte d’âge et BRUICHLADDICH qui propose désormais certaines références avec une foule de renseignements donnés sur ses étiquettes. Greg’s Whisky Guide salue toutes ces initiatives, si rafraîchissantes à l’heure de la prolifération des n.a.s., autant que celles des négociants comme par exemple THAT BOUTIQUE -Y WHISKY COMPANY qui a depuis la polémique liée à COMPASS BOX l’an dernier choisi de doter désormais (depuis Avril 2016) ses whiskies d’un compte d’âge et de nommer par ailleurs les distilleries dont proviennent les whiskies. Gageons que d’autres sociétés les suivront, comme par exemple The SPECIALITY DRINKS avec l’excellente gamme « Elements of Islay »…
La courageuse décision de TOMATIN de reprendre les comptes d'âge, même pour les entrées de gamme...
CONCLUSION :
Ou UNE ESQUISSE DE SOLUTIONS ...
-Nous voyons donc à la lumière de cet article que le problème des whiskies sans compte d’âge n’est pas simple d’une part, et qu’il est inséparable de la question de la qualité d’autre part (via notamment la question de la « wood technology »).
Nous avons vu aussi qu’il ne fallait pas mettre tous les n.a.s. dans le même sac, qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui…que certains sont vraiment le fruit d’un travail soigné et réfléchi d’assemblage, au service du distillat, tandis que d’autres dégradent peu à peu l’image de la distillerie. Aussi c’est encore une fois le consommateur & l’influenceur (médias) qui devraient donner le ton en boycottant les produits médiocres et privilégiant les autres sur la durée, ce qui ne manquerait pas de donner un signal forcément audible à un moment ou à un autre des décideurs, voire pourrait renverser la tendance.
-Concernant la question de la transparence, pour laquelle j’avais moi-même contacté la S.W.A. sans grand succès (mais au terme d’un dialogue courtois), je persiste à penser qu’il faut accéder à la demande de COMPASS BOX (soutenu depuis par les distilleries BRUICHLADDICH et TOMATIN, entre autres, mais aussi par nombre de bloggeurs) de pouvoir indiquer âge et quantité de chacun des composants.
-Autrement, au cas ou cette demande serait refusée sur la durée, une solution de compromis pourrait êtred’imposer pour l’étiquetage des whiskies une mention de type « Over X Years » (de minimum 5 ans, mais qui pourrait se graduer, telle une échelle semblable aux « VS/VSOP/XO, etc.. des Cognacs. On aurait ainsi des « Over 5 Years », « Over 8 years », « Over 10 years », « Over 20 Years », par exemple), mentions qui distingueraient les whiskies « simplement légaux » (3 ans et un jour) des autres.
Tableau des comptes d'âge pour les COGNACS, une autre manière de compter. Une solution pour le whisky ?
-Autre solution envisageable, celle de consentir à donner l’étendue des âges, comme l’avait fait Mercian, l’ancien propriétaire de KARUIZAWA, avec son « Pure malt » de 12 ans d’âge portant la mention « de 31 à 12 ans d’âge ».
Un des premiers KARUIZAWA (un blended malt) vendu sur le marché français, avec en plus du compte d'âge, la mention de l'amplitude des âges de cette version.
-L’on pourrait envisager également d’obliger le producteur à mentionner l’âge du composant le plus important en quantité dans l’assemblage, ce qui aurait le mérite de mettre en avant la prise de risque ou non du producteur.
-Quoiqu’il en soit, il est évident que la situation actuelle ne peut pas durer éternellement. Si d’un côté les consommateurs font vendre moins de « n.a.s. contemporains » et que de l’autre les producteurs de whisky prennent conscience que d’autres pays (comme par exemple et pas au hasard, les Etats-Unis, avec le phénomène des « craft distilleries », l’Irlande, avec ses nouvelles distilleries et maisons de négoce) sont désormais plus en avance qu’eux, ils finiront par revenir à plus d’exigence de qualité comme davantage d’expérimentation, c’est en tout cas ce que je souhaite.