(J. & A. Mitchell-Distillerie Springbank)
Directeur de la production de Springbank
Frank McHardy (& votre serviteur en visite sur le stand) au festival "Spirit in the Sky" en Belgique en 2011 (ph. © J.Houberdon)
Préambule : Je vous propose une interview de Frank McHARDY, directeur de la production chez J. & A. Mitchell & co, Ltd, propriétaire de la distillerie de SPRINGBANK, qui travaille depuis 50 ans maintenant dans l’industrie du whisky et est membre du panel de dégustation de CADENHEAD’S, maison de négoce liée à la distillerie…(voir également son portrait dans ce même onglet). L’interview est un peu ancienne (automne 2008), mais certaines questions sont toujours d’actualité ! Pour le reste, ou lorsque j’ai considéré qu’il y avait une précision utile à apporter, j’ai ajouté ici ou là quelques brefs commentaires. (NDLR : 24/09/13)
A/ Questions d’ordre général:
1.-Il y a eu un certain nombre de changements dans le monde du whisky au cours de cette dernière décennie. Lesquels considérez-vous être les plus significatifs ? Et les jugez-vous positifs ou négatifs, et pourquoi ?
L’un des changements les plus importants est le regain d’intérêt pour les distilleries plus petites qui produisent leur propre marque de Single Malt. Cela doit être un bénéfice pour tout le monde, y compris pour les clients de ces produits. Les clients pourront ainsi identifier les producteurs de ces whiskies, et, dans le cas où ils auraient des questions sur ces whiskies, ils pourraient parvenir plus facilement s’adresser aux bons interlocuteurs au sein de la société en question.
2.-Quel type d’avenir est-ce que vous prévoyez pour les whiskies de qualité comme le votre, dans un marché où les chiffres d’affaires sont réalisés par les blends, et dans un marché où les deux sociétés les plus importantes sont propriétaires de la plupart des distilleries? L’uniformisation de la production va-t-elle le mot clé pour les embouteillages de la prochaine décennie ?
Notre Société a un bel avenir dans le marché des Single Malts et, aussi longtemps que évitons la surproduction, nous continuerons à avoir un bon marché pour nos produits. Nous ne pouvons pas nous comparer aux "deux grandes" sociétés dont le marché principal reste les blends, c'est-à-dire les whiskies d’assemblage. (NDLR : Frank McHardy fait allusion aux deux grands propriétaires de distilleries et de marques de blended-whiskies, à savoir M.H.-Diageo & Pernod-Ricard.).
3.-Qu’est-ce que vous pensez de cette mode croissante d’embouteillages « single-casks », et d’affinages de toutes sortes ? En fait, pourriez-vous définir ce qu’est pour vous un authentique single-malt whisky (ou bien, un Blended-malt) aujourd’hui ? Jusqu’à quel point pouvez-vous aller en faisant évoluer un whisky sans qu’il ne perde son authenticité ?
L’embouteillage d’un fût individuel de single-malt produit des expressions de whisky très intéressantes. A la condition que le whisky soit de bonne qualité, je ne vois pas d’inconvénients majeurs à l’embouteillage de fûts individuels. Je pense que les "affinages" peuvent dés fois augmenter le prix sans ajouter de la qualité. J’ai une assez nette préférence pour la maturation intégrale dans différents types de chêne plutôt que les finitions d’assez courte durée. Parfois le chêne peut donner trop de saveur en étouffant le whisky, donc il faut faire très attention avec les "finitions".
4.-Certains collectionneurs importants de whisky comme Mr Begnoni (dont on a pu avoir un aperçu de sa collection au salon « Whisky Live Paris » en 2006 et en 2007, notamment) ont présenté des vieux single-malts whiskies à ces occasions, avec un profil aromatique parfois bien éloigné de leur éventuelle version moderne. A quel point considérez-vous vous-même ces versions anciennes différentes de celles d’aujourd’hui ou encore de celles mises en bouteille dans les années quatre-vingts ?
Je ne peux pas commenter la collection de Monsieur Begnoni, mais il y a certainement des différences entre les saveurs des whiskies de type single-malt écossais distillés dans les années 1960 par rapport à ce que nous avons de disponible aujourd’hui. Beaucoup des différences proviennent des fûts utilisés pour la maturation du whisky. Par exemple, beaucoup des fûts de Sherry de cette période-là arrivaient dans le Royaume-Uni remplis déjà remplis de Sherry pour être mis en bouteille (NDLR : Normalement l’usage est de vider les fûts de leur contenu et de les rincer préalablement au transport des fûts, qui sont, de plus, le plus souvent démontés pour le transport puis remontés ensuite sur place). Ces fûts, je pense, donnaient beaucoup plus de saveur que les fûts de Sherry utilisés de nos jours. La majorité des distilleries n’ont pas changé leur processus de production, donc, puisque environ 65 % à 70 % de la saveur provient des fûts, je dirais que les différences proviennent désormais davantage du type du bois utilisé pour la maturation.
5.-Comment choisissez-vous les fûts pour les affinages, secondes maturations ou maturation intégrale en fûts ayant contenu du vin ? Selon la S.W.A., les single-malts écossais mis sur le marché doivent conserver leur caractère spécifique et ne doivent pas ressembler au vin utilisé pour l’affinage. Comment parvenez-vous à faire cela ? Y a t’il d’après vous un type particulier de contenu de fût mieux adapté à l’élevage de whiskies que d’autres (par exemple, un fût de bourbon pour un whisky tourbé d’Islay, un fût de sherry pour un Speyside fruité, etc…)?
Nous remplissons très peu de fûts ayant servi pour le vin à la Distillerie de Springbank et pour ceux que nous utilisons, nous les choisissons pour complémenter (NDLR : voire sublimer…) le whisky que nous produisons. Par exemple, nous avons il n’y a pas longtemps mis du jeune LONGROW dans des fûts de Barolo provenant du vignoble d’Angelo Guya. La combinaison de saveurs de vin et de tourbe prouve que les fûts ayant servi pour le vin peuvent apporter leur contribution s’ils sont utilisés correctement. Chaque distillerie a ses préférences en matière de fûts de Bourbon ou de Sherry. Certains whiskies d’Islay s’accommodent mieux avec le Bourbon, mais l’un des meilleurs LAPHROAIG que j’ai jamais goûtés fut vieilli en fûts de Sherry. D’un autre côté, autant que je sache, la distillerie GLENMORANGIE, elle, utilise majoritairement des fûts de Bourbon.
6.-A quel point est-ce que l’arrêt de la distillation en cours d’année est important dans le travail et la qualité de la production d’une distillerie ? (NDLR : En travaillant seulement selon les saisons de distillation, on contribue à laisser les installations "se reposer" entre les distillations. Certaines des très grandes distilleries produisent en quasi-continu !) .
Je dirais que, à condition que l’équipement d’une distillerie soit bien entretenu, il n’y a rien qui empêche la distillation en continu pendant toute l’année. Bien entendu, dans le passé, les distilleries avaient l’habitude de fermer pendant les mois d’été principalement à cause du manque d’eau et ceci permettait la maintenance de l’équipement. Je suis par ailleurs d’avis que le meilleur alcool est produit durant la période allant du mois d’Octobre jusqu’à la première partie du mois de Mai, à cause de la température de l’eau de refroidissement.
B/ Questions spécifiques à la distillerie SPRINGBANK:
7.-Comment résumeriez-vous, en quelques phrases, l’identité spécifique et l’intérêt de votre single-malt (et même des blended-whiskiess CAMPBELTOWN LOCH & MITCHELL’S) par rapport aux autres ? Est-ce le fait qu’il s’agit de l’une des rares distilleries appartenant à une famille joue un rôle majeur (positif, s’entend) ?
La raison principale qui fait que les produits de notre compagnie plaisent au public en général est que nous exécutons à 100 % l’entier processus de transformation de l’orge en bouteilles de Whisky. Par ailleurs, nous n’utilisons aucune filtration à froid avant la mise en bouteille, et nous n’utilisons aucune coloration artificielle non plus.
8.-Qui dans la société définit l’amplitude de votre gamme de single-malts, des différents millésimes et des types de whiskies ? Jusqu’à quel point est-ce que le manager/distillateur est libre pour choisir la prochaine version qui va être commercialisée et le nombre de bouteilles, par rapport aux département commercial et du marketing ?
Notre gamme régulière est le résultat de la mise en chai de stocks sur une période de nombreuses années. Ce stock inclut des fûts susceptibles de produire un whisky « spécial » (NDLR : Frank McHardy fait allusion aux séries limitées produites de temps à autre. Dernier exemple en date, une jolie version de 12 ans d’âge dont la seconde moitié de la maturation a eu lieu dans des fûts ayant contenu du Calvados). Ces fûts sont repérés par la prise d’échantillons, et sur la base de ces échantillons, nous pouvons décider de faire une mise en bouteille "spéciale". Le Directeur de la Distillerie joue un rôle crucial, puisque c‘est lui qui a la garde des stocks en cours de maturation, et ses décisions peuvent avoir un impact énorme sur le choix de ce qui est mis à disposition pour embouteillage.
9.-Au-delà de ce qui est donné comme l’explication officielle, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les décisions derrière la genèse des trois marques de single-malts aussi différentes que sont HAZELBURN, LONGROW et SPRINGBANK ?
La production de SPRINGBANK constitue à peu près 70 % de tout ce que nous produisons, avec les 30 % restants divisés entre LONGROW et HAZELBURN. Longrow avait initialement la vocation ressembler à un Whisky du " style d’Islay ", très tourbé destiné aux blends. HAZELBURN est distillé trois fois et basé approximativement sur mon expérience de produire le BUSHMILLS en Irlande du Nord. Le LONGROW et le HAZELBURN ont par ailleurs été créés pour satisfaire la demande publique pour de tels produits.
10.-Quid des single-malts de GLENGYLE et de KILKERRAN ? J’ai entendu dire que le premier single-malt est maintenant en bouteille ? Est-ce que vous pourrez nous en dire un peu plus, y-a-t-il des nouvelles?
Le KILKERRAN est produit à la distillerie de GLENGYLE et la première distillation a été effectuée en Mars 2004. Les visiteurs de notre salle de dégustation à Campbeltown peuvent déjà déguster ce produit. Nous suivons étroitement la qualité de KILKERRAN dans le but d’en diffuser en 2009. (NDLR : Depuis la transcription de cette interview, plusieurs versions de ce single-malt ont été produites et rendues disponibles en France également, mais certes de manière marginale (question de distribution et de visibilité encore réduite de la marque KILKERRAN). Il existe déjà 5 éditions de KILKERRAN, qui dépasse désormais largement les 5 ans d’âge (certains parlent de 8 ou 9 ans, mais je n’en ai pas confirmation), et les deux dernières, sauf erreur, sontnommées « Work in Progress 5/Bourbon » et « Work in Progress 5/Sherry » donnent donc le choix entre deux types de maturation.
11.-Lesquels de vos produits considérez-vous les meilleurs dans l’histoire de la distillerie, ainsi que les meilleurs de l’année ou de la dernière décennie ? (Pourriez-vous donner des exemples précis – avec l’année de distillation et de mise en bouteille, l’âge, le degré d’alcool, single-cask ou, au brut du fût ou non, le type de fûts utilisé, si filtrage à froid ou non, etc.) – NDLR: L’auteur souhaite évoquer ici une version exceptionnelle qu’il a dégustée, à savoir un SPRINGBANK de 12 ans d’âge étiquetée "100 PROOF", embouteillée à 57%, commercialisée dans les années 1990 à 2000 ? (Elle a été notée 100/100 dans ses notes de dégustation et même "Hors Catégorie"). Pourriez-vous nous en dire plus sur cet embouteillage ?
La réponse à cette question est très difficile puisqu’il y a de si nombreuses versions de SPRINGBANK™ qui sont considérées comme des "classiques". La version probablement la plus populaire a été et demeure l’embouteillage standard du SPRINGBANK à 21 ans d’âge embouteillé entre les dernières années 1980 et les premières années 1990, ou encore la gamme “Local Barley” distillée en 1966 et 1967, des whiskies fantastiques qui ne sont malheureusement plus disponibles (NDLR : Il existe aussi des versions millésimées « 1965 » de la version « Local Barley ». Elles sont encore disponibles sur certains sites internet ou grandes caves, mais prix très élevé….). Aucun de nos whiskies n’a jamais été filtré à froid. Le 12 ans d’âge dit « 100 PROOF » embouteillé à 57.1 % d’alcool est unique, car son degré fut ajusté par l’ajout de fûts de SPRINGBANK plus âgé, plutôt que de l’eau. Une partie du whisky dans ce lot provenait en effet des années 1965-1967.
12.-Comment décidez-vous du nombre de fûts que vous allez utiliser, lorsque vous préparez un assemblage de fûts pour élaborer un nouveau single-malt (soit le nouveau lot du single-malt SPRINGBANK de 10 ans d’âge, soit un nouveau 15 ans d’âge par exemple), et approximativement combien de vieux fûts par rapport aux plus récents (et combien de fûts en tout) vont être utilisés pour cela ?
Nos SPRINGBANK standards de 10 ou de 15 ans d’âge sont fabriqués à partir d’un mariage de jusqu’à 40 fûts différents. Nous regardons le profil du stock dans le chai (NDLR : l’éventail de fûts différents disponibles), des fûts de Bourbon ou Sherry, etc…et à partir de ce profil nous composons la "recette" pour nos produits. Les fûts sont tous mélangés ensemble, puis le degré d’alcool du whisky est réduit jusqu’à environ 48% d’alcool par l’ajout d’eau. Le whisky est ensuite remis dans des fûts où il restera pendant au moins 6 mois avant l’embouteillage. Ce processus s’appelle le "mariage".
13.--Qu’est-ce que vous pensez des petits lots (Small Batches), par rapport aux Single-Casks et à l’assemblage classique de Single-Malts (qui en utilise un bien plus grand nombre), et quelle est la version que vous considérez la meilleure pour exprimer les qualités spécifiques de vos single-malts?
Les petits lots offrent à plus de personnes la possibilité de goûter le produit. Je pense que le meilleur moyen de mettre les produits de Springbank en valeur est d’utiliser des fûts qui subliment le produit plutôt que de le dominer. Des fûts ayant servi pour le Sherry sont l’idéal, en deuxième remplissage, pour la maturation de SPRINGBANK.
14. – Quelle est la meilleure façon de boire (ou, devrais-je dire plutôt, déguster !) vos single-malts?
Personnellement je préfère ajouter de l’eau de source de bonne qualité afin de réduire le whisky jusqu’à environ 40% d’alcool. Ce n’est pas le cas de tout le monde, car certaines personnes préfèrent le boire brut du fût. Là, il s’agit d’un choix personnel de ma part.
15.-Quels sont les rapports entre vous et la société de négoce CADENHEAD ? (Etant données vos responsabilités chez SPRINGBANK, est-ce que vous sélectionnez des embouteillages pour eux, etc.) ?
CADENHEAD une filiale à 100% de J & A Mitchell & Co. CADENHEAD prend ses propres décisions quant au choix des fûts à embouteiller. Cependant, nous sommes membres d’un comité de dégustation qui participe à l’arbitrage pour choisir les meilleurs fûts à mettre en bouteille, et en tant que tel nous avons donc notre mot à dire.
16.-Est-ce que vous avez un message à passer à quelqu’un désireux de découvrir le monde si étonnant et captivant du whisky Ecossais ?
Le Whisky a énormément à offrir, et il y a tellement de styles différents que la meilleure chose qu’un individu puise faire est de repérer les Clubs de Whisky dans son pays de résidence. Les adhérents de ces clubs sont toujours prêts à vous conseiller. La majorité des pays disposent également de cavistes ou de boutiques spécialisées dans le Whisky qui sont aussi très disponibles et motivés.
17.-Des conseils pour les personnes désireuses de visiter votre distillerie ?
Pour tous ceux qui souhaitent visiter les distilleries de SPRINGBANK ou de GLENGYLE, nous leur conseillons d’appeler le +44 (0) 1586 551710 (en choisissant l’option n° 1). Des visites peuvent ainsi être réservées. Nous sommes ouverts pour des visites durant la majeure partie de l’année et celles-ci sont généralement organisées n’importe quel jour ouvrable. Elles commencent toutes à 14 heures.
Merci, Frank d’avoir si gentiment répondu à toutes ces questions !
Interview: Grégoire Sarafian / Traduction: Hugh (…) et Grégoire Sarafian